dimanche 15 février 2015

Parfums


Couleur Lilas

    Au sortir de l'hiver, toujours, on rencontre des odeurs qui lancent leur ballet dans les champs, les jardins, les parterres trop rares des rues, les parcs et les forêts. Renouvellement des tiges et des feuilles qui s'élancent à l'assaut du printemps, bourgeons éclos qui s'enthousiasment et offrent aux narines leurs premières senteurs.

     C'est le lilas que je préfère. L'odeur est parfois un peu forte pour les bouquets, entêtante dans les pièces trop fermées. J'aime le lilas du dehors, au coin du jardin, dans les branches qui élancent vers le ciel leur besoin de printemps. C'est la fin des gelées et des pluies verglacées, les jours s'allongent et les sourires aussi. Les oiseaux tissent leurs nids paille après paille, les jardiniers retrouvent leurs outils au bord des lilas à l'odeur insistante.


     Je ne me lasse pas d'y goûter et je la sais fugace. Voluptueuse, elle m'égare sur des sentiers lointains, des chemins creux chargés d'enfance. J'attendais l'odeur des prairies, du foin coupé, le bruit des guêpes et le goût du soleil sur la peau.  Un lilas blanc près de la maison annonçait la fin des froids, des pluies et des tristesses. Je guettai la venue de jours meilleurs et quand s'ouvrait le lilas, je savais qu'allait enfin venir le temps de la douceur.

    J'avais tant besoin de pâquerettes à effeuiller en disant : « Je t'aime, je ne t'aime plus, je t'aimerai encore, j'aimerais t'aimer toujours »,  besoin de jouer au soleil se couchant sur la rade, en regardant le lilas blanc qui fanait toujours trop vite.

     Pourquoi les fleurs sont-elles si éphémères et pourquoi nos peaux rident-elles aussi vite ? Pourquoi faut-il toujours se cogner à la mort ? La litanie des pourquoi de l'enfance résonne longtemps au cœur de nos vies. Ce qu'il faut de jours et de douleurs  pour tenter d'y répondre avant d'apprendre à renoncer !

  Pourquoi graver tous ces mots pour tenter de raconter les parfums, les couleurs, les musiques et les chants de l'espoir ?  A ciel ouvert, loin des futurs qui nous finissent, il y aura longtemps encore, je l'espère, des odeurs de lilas pour  nous aider à oublier le retour de l'inévitable froid.

                                                                    Cathy   


Libres et insouciants, inconscients de cet héritage légué par nos ancêtres inscrits dans nos gènes, les gestes sont naturels et font corps avec la nature. Arc-boutés sur le sol entre deux lancers de fruits sur son voisin, l’ambiance entre les compères est très joyeuse : peut-être en prévision des soirées arrosées qu’il en découlera.
L’année dernière, les forces de l’ordre se sont arrêtées, partageant l’authentique et la rigolade.
A-t-elle de la jambe, a-t-il bien pensé à enlever la tête, la queue ?
En tout cas, l’alambic est prêt, cuivré et rutilant mais déjà culotté par ses années de service.
Mais il faudra patienter quelques mois avant de sentir les effluves de la nature domptée.
Car toute la quintessence, tout l’élixir seront concentrés dans une goutte. D’ailleurs tout n’est que goutte : goutte de rosée, goutte de pluie, goutte de jus, goutte de sueur et première goutte d’alcool.
Parfumée comme si l’on croquait dans un fruit : ça c’est l’aboutissement parfait : on se transforme en « Grenouille » dans Le Parfum de Süskind : maître alchimiste envoûté par sa propre création, partant dans un délire créatif et olfactif que rien n’arrête.
Sauf qu’à 20 ans, on refait les gestes du grand père : celui qui détient encore le droit de bouillir, celui qui parfumait la région d’une odeur enivrante de fruits, aidé du bouilleur de cru. Celui là même qui collectionne les années en bouteilles : année 67, 68, 70 : les bonnes et les ratées : ces dernières serviront à désinfecter les plaies...sauf s’il fait vraiment trop soif !

Essence, élixir ou nectar : il ne reste juste qu’à prêter l’oreille au cri de joie du copain qui vient de finir sa première cuve de mirabelle dont on sent le parfum alcoolisé mais oh combien fruité et sucré : « elle est divine » !!!!
Albane Vincent


Pas besoin d’être à ses côtés pour ressentir ses effets. Son souvenir évoque le plaisir, la joie, mais certaines peaux s’en irritent, allergiques.
Avant de l’atteindre, on peu entendre ses anges annonciateurs, un chant lancinant qui peut passer pour une plainte aigue, interprétée par des envergures blanches dans le ciel, des ailes nobles, malgré l’absence d’auréole.
Plus on l’approche et à l’horizon s’efface la hauteur de la ville, sa jungle et ses buildings, pour laisser place au plat de ses vallées, à ses herbes discrètes et sèches, à sa terre jaune et légère.
Dès qu’on ouvre sa fenêtre, elle nous prend et nous enrobe, on sent alors sur sa peau son haleine, une brise fraîche et piquante, l’esquisse de son parfum : un mélange de végétal, de la salive de ses habitants et de sa terre brassée, torréfiée, moult et moult fois au fil de ses nombreuses allées et venues.
Enfin, la voiture s’arrête, on n’y tient plus. On descend, on court, on vole vers elle sans se préoccuper de s’enfoncer dans le sol mou qu’elle imbibe. On évite ses tranchées humides, on esquive ses épis, on provoque la fuite des âmes tranquilles qui l’entourent. Et à ses pieds, on se prend tout en pleine face. Un florilège, un spectacle : l’iode, le cri des mouettes, le sable mouvant, le vent salée et surtout elle.
La Mer. La Manche
L’Immensité bleue grise, qui relie la Normandie à l’Angleterre

La Manche,… qu’on voit danser le long des golfs clairs…de Cabourg

Fabien Thueux

Byzance

Le cœur palpitant de Byzance. Un dédale de ruelles, des étals débordants, des tissus qui enveloppent l’air chaud et masquent l’horizon de plus en plus étroit. Les heurts. Les pieds qui trébuchent sur des pavés invisibles, le déséquilibre permanent, des corps que l’on ne voit pas dans une foule compacte et mouvante, une marée bruyante de bras, d’épaules que l’on effleure ou qui se cognent, les voix que l’on entend et que l’on ne comprend pas, entre harangue et rire. Le bruit du sang qui tambourine aux tempes.

Des visages inconnus qui s’agrippent à mes yeux. Visages usés par le soleil et le travail. Visages ridés et enfantins. Visages cachés par des voiles flamboyants. Une mèche argentée s’en échappe parfois.
Une main que l’on serre fort, si fort qu’on en a mal. Une main qui guide, qui sauve. Qui empêche de disparaître.

La lumière brule les yeux. Elle est partout, sur les murs pleins de poussière, sur les bijoux aux pierres scintillantes, sur le cuir enivrant des sacs, sur les peaux des poissons fraichement péchés qui brillent comme des diamants. Impression étrange que tout devient précieux, envoutant, riche. Des montagnes de poudre ocre, vermeil, de bâtons de cannelle et d’étoiles de badiane. Profusion des couleurs, multitude des sons auxquels se rajoutent au loin le chant d’un muezzin et le bruit du trafic, signe qu’on se rapproche du Bosphore.

Quelques personnes assises sur des sièges de fortune se désaltèrent d’un thé brulant en jouant aux échecs. 

La main se perd. L’air ne sort plus de mes poumons. Tomber nez  à nez avec un sac rempli de sangsues. Partir. Sortir du marché. Tête qui tourne, les narines saturées. Ne plus savoir si c’est un parfum ou une puanteur, odeurs de tout, de peaux, d’épices, de thé, de sueur, de soleil et de poissons. Je suis ivre.

Au loin, les pécheurs à la ligne côtoient les embouteillages sans s’en soucier. Des perles d’eau scintillent le long de leurs fils.


La main se pose sur mon épaule et une voix familière me demande si ça va.
Carole Guéville

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