mercredi 27 décembre 2017

Mon voyage au Chili

De tous les voyages que j'ai entrepris, c'est sûrement le Chili qui m'a laissé les plus belles images d'une nature vierge ou presque de la présence de l'homme. C'est surtout arrivée dans le désert que j'ai ressenti combien l'homme était petit, voire minuscule face à l'immensité des lieux. On avait hâte de rencontrer les indigènes, qui ne sont plus très nombreux, et les lamas, les vigognes, les alpagas, mais on ne mesurait pas à quel point cela se méritait.
Après avoir volé au ras de la Cordillère des Andes depuis Santiago, ce qui n'était pas forcément très zen, nous fûmes heureux de voir notre guide et son chauffeur nous attendre à Arrica, à la limite du Pérou. Là, il ne pleut jamais, et le ciel est tellement bleu qu’on pourrait perdre la vue à le regarder, car la couche d'ozone malheureusement a disparu. Au fur et à mesure que le 4x4 progressait, on sentait l'air se raréfier, mais le babillage de notre guide en espagnol le faisait oublier. 
C'est à Putre que ça a commencé. Les granulés de coca et les tisanes du même nom auraient dû pourtant nous aider. On a voulu prendre nos bagages et grimper alertement vers notre chambre, mais heureusement que le lit nous a accueilli plus vite qu'il n'aurait dû... car l’altitude nous ennivrait et nous nous sommes écroulés.
Etape par étape, après plusieurs jours, on a finalement atteint le lac Chungara sous le volcan de Parinacota (environ 4000m).
Là encore, on s’est cru fort en entamant une petite marche, qui en d’autres endroits eût été anodine. Mais très vite l’air nous manquait, la nausée montait, et malgré le paysage sensationnel qui s’offrait à nous, avec le reflet de ce volcan immaculé dans les eaux où évoluait la spiruline, cette plante qui calme la faim et donne des forces, nous n'avions qu’une hâte : redescendre de quelques centaines de mètres pour retrouver les nôtres.
Sylvie

mardi 26 décembre 2017

Elle n'aime pas les dimanches...

On est dimanche, midi trente. Jeanne a le ventre noué en entrant dans la cour de la ferme. Le chien attaché à sa corde aboie furieusement comme si elle était une étrangère, quel idiot, elle est née ici. Il est censé la reconnaître, non ?

Le père est là, dans le parterre de l'entrée, encore en bottes de caoutchouc ; est elle arrivée trop tôt... Elle entend pourtant la mère s'activant dans la cuisine et sa soeur Elise disputant Zoé sa benjamine dans le couloir. La gamine pousse des cris stridents.

Le père lui a fait un signe furtif de la tête, il ne l'embrasse pas, embrasse très rarement, parle peu, c'est un taiseux. Jeanne s'en est toujours accommodé, c'est ainsi.

Julien son mari arrivera après l'apéritif, il entraîne des jeunes au foot. Les deux autres frangines sont là, maintenant, et c'est une véritable volière dans la pièce principale. Ce bruit agace le père, elles le savent. Quatre filles c'est trop, il attendait tellement un fils, un mâle qui reprendrait la ferme, le secondant dans ses vieux jours. Que des fendues dans cette famille, vitupère-t-il quand il s'énerve.

Dans peu de temps, tous seront réunis autour de cette grande table en bois striée de coups de couteau, assis inconfortablement sur des bancs du même bois. Ce mobilier rustique résiste depuis trois générations - c'est dire s'il date !

Après le vin cuit un peu aigre de l'apéro viendra la quiche au lard, le lapin tué hier et la tarte aux prunes, c'est la saison. Tout vient de la ferme et il faut bien le reconnaître, c'est très bon et l'on se régale. La mère mange presque debout, entre ses allées et venues à la cuisine, très peu de temps pour se poser. Les filles veulent aider en vain, la cuisine c'est son domaine. Jeanne arrivera tout juste à laver la vaisselle.

Les soeurs parlent entre elles de la semaine écoulée, rien de nouveau, tout est routine, convenu, banal. Les cousines sont très sages, le papé n'aime guère les débordements à table. Ses filles n'ont engendré que des filles, qu'a-t-il fait au bon dieu, même s'il n'y croit pas, pour mériter cette injustice ? Alors les pisseuses comme il les appelle doivent rester calmes au moins pendant le repas. Après elles pourront aller jouer dans la cour, ça, oui, ne le dérangera pas, il ira faire la sieste.

Bien sûr il y a des mâles dans cette maison, les gendres - mais il n'échange guère non plus avec eux, ni la politique, ni le sport, ni du boulot, ni de... ni de rien en fait. Ce sont des garçons de la ville, ne connaissent pas beaucoup la vie de la campagne, le monde paysan. Ses filles aussi, élevées ici, sont devenues des citadines. Jeanne est postière, les deux autres bossent à l'hôpital et la dernière Elise s'occupe de ses trois filles.

Dans ce rendez-vous dominical ne pas oublier la mémé, assise dans son fauteuil près de la cheminée, enveloppée dans son châle. La mémé... A l'instar de son fils, ne parle plus beaucoup, un certain Aloïs  a envahi sa pauvre tête. La mémé qui mélange tous les prénoms de ces petites femelles. Jeanne est la seule à venir à ses genoux lui caresser ses vieilles mains encore très douces, la seule a essayer de capter de belles lueurs anciennes encore dans son regard.

Il est 17h30, la vaisselle est terminée; Père a fini sa sieste, la mère prépare pour chaque couple les restes du repas dans du papier au, elle fait toujours un peu trop. Les cousines sont revenues de leur balançoire, un peu excitées par leurs acrobaties dans l'herbe.

Surtout Zoé, la dernière d'Elise, cette petite fille pas tout à fait comme les autres qui rit aussi fort qu'elle pleure, qui écrase les escargots pour les donner à manger au chien et aux poules, qui fait pipi debout dans la case ciel, là tout en haut de la marelle. Elle compte aussi les étoiles sur ses dix doigts, triste soudain de n'en avoir pas assez pour le bon compte.
Zoé s'accrochant aux jambes de sa mère comme un petit koala.
Zoé qui a une annonce à faire.
Zoé embrassant le ventre d'Elise : il y a un bébé là-dedans 

Le quatrième enfant sera un garçon, le père ne sera plus là, mort avant la mémé d'une crise cardiaque, foudroyé, les genoux dans la terre, le nez dans sa brouette.
Mathurine

mercredi 6 décembre 2017

D'ici et d'ailleurs

Dès l’instant où j'entre dans cette maison, je me sens déjà à l’aise.
Je ne suis qu’à l’entrée du couloir que je peux apercevoir les rayons du soleil l’éclairer.

Certes, c’est un petit couloir, mais qui est très fonctionnel, de par sa penderie qui se situe sur la droite. Je peux y ranger mes manteaux et mettre mes chaussures sur les étagères en dessous.

Et quand je lève la tête, mes yeux s’arrêtent sur ce magnifique tableau de San Francisco. Ce qui me rappelle les vacances passées avec mes parents et mon frère là-bas.

Dire que cela remonte à une vingtaine d’années... Que le temps passe vite !

C’était vraiment super : non seulement j’avais la chance de faire ce voyage, mais en plus j’allais rejoindre une partie de la famille qui vivait au Etats-Unis. Cette famille que je ne connaissais pas vraiment et que jusqu’alors je n'avais fait qu’entendre au téléphone à l’occasion des fêtes de fin d’année... Bref, que de bons souvenirs mais avec un brin de nostalgie.
Christelle

lundi 4 décembre 2017

6 rue Cortot

10 heures ce matin de mai  
6 rue Cortot, Montmartre 

Belle lumière bleutée à travers la grande verrière.
Suzanne dans sa baignoire sabot rêve des heures à venir, le bruit de l'eau chaude coulant des robinets de laiton la plonge dans une molle torpeur. C'est un moment délicieux.
L'instant ou l'on monte l'escalier serait paraît-il le meilleur moment de l'amour, Suzanne c'est dans son bain que le film commence.
Elle l'attend alanguie, déjà offerte.
Sur la table de toilette en marbre rose, onguents et parfums pour se faire la plus désirable.
Tout à l'heure, dans la chambre sous les poutres de bois verni derrière ce paravent de satin mordoré, elle se vêtira de sa plus belle robe.
Celui qui vient tout à l'heure n'est pas un inconnu, et cette alcôve est son antre, sa douce félicité, son havre de plénitude.
Elle est prête à présent, ne peut s'empêcher d'arpenter d'un pas léger presque dansant son atelier.

Troublants, tous ces tableaux qui la regardent ; ses modèles sont souvent des femmes aux formes voluptueuses, quelques danseuses du Moulin Rouge ; la Goulue sur cette grande toile, la jupe relevée sur des jambes parfaites gainées de bas résille, semble la défier de son air gouailleur.
Toutes ces peintures respirent la joie, le plaisir et la fête.
Le bonheur est toujours là lorsqu'elle traverse cette grande salle plein ciel ou les couleurs se mélangent avec tant d'harmonie.
Suzanne ici s'exprime, crée, peint. Là est sa vie, sa vraie vie.

Sur un chevalet, à l'angle de la pièce, le visage grandeur nature de son amant où elle a su capter, dans l'éclat de ses yeux, la musique de son âme. 
La voilà à présent dans l'immense pièce principale avec son coin sofa aux douces couvertures, dentelles et coussins brodés, ici et là petites consoles basses pour la collation, le thé.
Au beau milieu, un gros poêle à bois ronronne comme un gros chat.Tout est feutré et doux.
Suzanne s'endormirait presque.
En déshabillé de soie mauve, petites mules à pompons roses, foulard en turban dans ses longs cheveux roux, elle irradie, belle comme une odalisque.

Erik ne va plus tarder : où feront ils l'amour ? Sur ce sofa même, dans la chambre plus douillette, l'atelier il aime bien aussi...
Fou d'elle, il l'appellera ma BIQUI .

L'histoire de Suzanne Valadon et d'Erik Satie ne durera que cinq mois.
Il restera inconsolable et composera pour elle ses danses gothiques.
Mathurine 

dimanche 3 décembre 2017

Ma maison

On entre par la salle commune où tout est blanc - ou presque : les meubles, la  pierre du four à pain, la chaux sur les murs, etc. C'est ce que j'appelle la philosophie de l'ameublement,  pour réunir la famille en un lieu neutre et authentique et s'aider à temporiser sur bien des sujets.
En contigu et dans un espace ouvert, se trouve le coin cuisine. De couleur vert et bleu il invite aux voyages... culinaires. J' y use de certains subterfuges pour pouvoir stocker les produits que je confectionne  autant que pour réunir thés et infusions dans des boites de ma création.
Mais revenons un peu sur nos pas, car ma maison comprend cinq demi étages ; alors nous pourrions nous égarer en descendant dans la cave voutée du XVIème siècle, mais vous seriez déçus d'y voir ce que vous y trouveriez. Pas de bons vins en tout cas!
Je préfère vous ramener vers les étages et s'arrêter sur un palier pour monter ensuite sur une mezzanine d'ou je peux épier mes voisins grâce à  la fenêtre en haut du salon. D'ici je peux encore surveiller qui descend ou monte vers les chambres de l'autre côté!
Ce salon que j'allais oublier n'est pas la maison de Dieu, mais il possède un toit cathédrale. C'est pour cela que depuis la chambre au dessus, je jouis de la richesse du panorama qui se trouve en dessous; ce n'est pas tant le tapis de Chine, que m'a légué ma mère, mais les objets qui me la rappellent qui valent de l'or à mes yeux. Le feu qui crépite également dans la vaste cheminée réchauffe mon coeur à cette pensée.
A l'étage, bien entendu, j'adore aussi  me prélasser dans une baignoire d'eau chaude et d'essences florales, tout en méditant en regardant le jardin paysagé de mon autre voisine. En effet, la maison est en mitoyenneté : le jeu du hasard de cette ancienne construction fait que lorsque je prends mon bain, j'ai le nez au niveau de la fenêtre. Tout l'art constitue donc à profiter du paysage sans être vue.
Je ne vous ferai pas visiter la chambre de mon fils, qui n'a rien d'austère et n'a d'intérêt que son capharnaum, du moins pour lui. Et pour finir, la chambre parentale ou trône une armoire familiale. Je ne devrais pas la garder là, car l'espace de ce fait s'en trouve restreint : il y a déjà bien d'autres rangements ! mais elle appartenait à ma grand-mère et je rêve de la relooker un jour.
Enfin, vous l'aurez compris j'espère, ma maison est à mon image : nostalgique, ouverte sur le monde et imprégnée d'histoire.
Sylvie

samedi 2 décembre 2017

Dans la maison...

On a travaillé sur le chez-soi, le home sweet home, les maisons passées, présentes, rêvées, imaginaires... On s'est aidé de Georges Pérec (Les Choses, 1965), Thomas Clerc (Intérieur, 2013), on a évoqué Robbe-Grillet et Marienbad, Xavier de Maistre dans sa cellule...

La qualité des textes produits et l'incroyable profusion des temps utilisés, du présent au plus-que-parfait en passant par le futur, antérieur ou pas, et le conditionnel, m'a fait penser au principe d'incertitude d'Heisenberg :

Il semble en effet que le fait de se placer dans un espace extrêmement bien défini, délimité, invariant (en l'occurence une maison), donne aux écrivains une très belle liberté dans leur rapport au temps, à la "quantité de mouvement" des protagonistes et du narrateur...
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jeudi 26 octobre 2017

Mon dernier jour près de toi

Tu es ma compagne de tant d’années. Tu m’as vue grandir, vieillir …

A notre première rencontre, je n’avais que quatorze ans ; quand toi, le bois de ton plateau comptait déjà bien des années. Je me suis usée devant toi, je t’ai polie, marquée de brûlures aussi. J’ai appuyé contre toi mes reins douloureux, me suis heurtée à toi. Mon ventre épanoui par les grossesses a maudit la dureté de ton rebord. Et j’ai appuyé bien souvent mes bras raidis et douloureux sur l’ébène de tes veines.

Oui, nous en aurons passé des heures dans ce face à face rythmé par le son du fer que je repose sur toi. Clac, tac ! Comme un cœur régulier, comme mon cœur parfois malmené. Je t’ai parlé, détestée aussi et nos destins se sont unis.

Des heures, des années de labeur. Dans la lumière douce des hautes fenêtres de la lingerie, baignant dans la chaleur immuable du poêle. Cernées toutes deux de paniers en osier débordants. Nos pieds ensemble ancrés dans le parquet.

Des heures, une vie, quarante ans et cette dernière journée. Je ne quitte pas ce soir une simple table à repasser. J’ai le sentiment de laisser une amie, un peu vacharde, mais de toute une vie.


Inès-Marie

lundi 16 octobre 2017

Noël 1908

6 h 30 du matin, Institution  des sœurs de Saint-Vincent pour jeunes filles mères 
Comme une envolée d'oiseaux, drapées dans leurs longues chemises de nuit, elles courent, elles volent dans le dortoir.

Il faut aller chercher les bébés dans la pouponnière, toilette dans la salle commune
Chacune a extirpé de sa  table de nuit en noyer le pot de chambre en  faïence pour le vider
Cette odeur d'ammoniaque matinale leur soulève un peu le cœur
Le parquet en bois ciré est glissant, la maladroite faisant déborder le contenu est source de plaisanteries, de railleries, tout est prétexte à rigolade, leur vie ici est tellement austère, disciplinée et stricte -

Ces demoiselles ayant fauté doivent respecter et remercier cet établissement les recueillant avec autant de générosité
La société bien pensante les aide au mieux, il faut se montrer reconnaissante, bien se tenir, c'est le moindre des tributs à payer
Aucune n'est majeure, certaines sont des petites servantes campagnardes engrossées par leur bourgeois de patron, d'autres viennent de familles nobles, placées ici pour éviter le scandale, la morale sera sauve et les bébés seront adoptés, c'est ainsi, on ne leur demandera pas leur avis
D'autres, issues de familles très pauvres et nombreuses, ne pourront assumer cette bouche supplémentaire à nourrir

Il est maintenant 7 heures ce matin de noël 
Cette volière de gamines rie et chante, tenant leur bébé dans les bras, poupons de chair et de sang, se dirige vers les tables à langer et dépose les petits sur des langes molletonnés
Il n'y a pas si longtemps elles jouaient encore avec leur baigneurs en celluloïd
Les tables sont d’un bois rustique et rugueux mais la couche est douce, cette pièce sent bon le linge propre, la poudre de talc et l'eau de Cologne
C'est un moment de calme
Presque de grâce
Toutes ces jeunes mères au visage enfantin sourient, ça chantonne, gazouille, pépie
L'enfançon sera beau tout à l'heure, les sœurs ont prévu de beaux habits blancs pour ces chérubins 
Ces petits anges descendus du ciel dans la douce lumière d'un matin de noël.

Anges blonds ravis
Pour jeunes filles en fleurs
Le temps suspendu !
Mathurine

Rendez-vous

Agathe, la cinquantaine, décide de mettre sa belle robe de velours rouge pour rejoindre sa fille Hélène.  Agathe tient à être élégante pour les retrouvailles. Hélène, ne conduisant plus, a donné rendez-vous dans un célèbre salon de thé de cette magnifique ville historique de Chantilly.

Pour Agathe, déjà installée confortablement dans un fauteuil près de la baie vitrée, cette attente semble infernale. Longues minutes interminables. Stress, chaleur et angoisse se mélangent. De plus, la cloche de la porte sonne à chaque entrée. Ouf la voilà.

Enfin.

Mère et filles s’étreignent et s’embrassent affectueusement. Des mois qu’elles ne se sont pas vues.

Elles se redécouvrent mutuellement et Hélène pose délicatement un petit paquet sur la table. Que d’émotions et de tremblements lors du déballage. Une petite paire de chaussettes blanches taille naissance, ainsi qu’une tétine de biberon, sortent du paquet.


Une date : décembre 2017. Une nouvelle vie.
Christine

dimanche 15 octobre 2017

Prochaines dates

Dates des ateliers automne/hiver

- pour l'atelier "découverte" : 2 décembre, 23 décembre, 27 janvier, 10 février, 10 mars, de 14h30 à 17h ;

- pour l'atelier "approfondissement" : 2 décembre, 23 décembre, 10 février, 10 mars, de 10h à 12h25. L'atelier d'approfondissement du 10 février se prolongera l'après-midi, ainsi que le mercredi 14 février après-midi. Celui du 10 mars se prolongera début avril, dans le cadre du festival "Senlis Fait Son Théâtre"... informations à venir début 2018.

Attention : pour ces 2 ateliers, inscription obligatoire auprès de la bibliothèque.

samedi 24 juin 2017

Quelque part

Le point de repère est la station-service avec ses insignes vert-jaunes. L’église voisine est là aussi, toutefois les murs autrefois en bois sont maintenant en brique - ce qui fait une intrusion dans le paysage des souvenirs d’antan.

La traversée de l’avenue se fait prudemment car la circulation est impressionnante. Le parcours en amont à franchir est resté le même, malgré tout le temps qui s’est écoulé.

On tourne la première à gauche et on est envahi par des odeurs, et les bruissements des feuilles dans les arbres d’eucalyptus qui abondent sur le trottoir de gauche. Par terre, en marchant sur des feuilles et sur des fruits en forme de clochettes qui tombent des arbres, l’odorat est absorbé et la mémoire se met en marche à la recherche du vécu - et de ce qui en subsiste encore.

Tout est serein. Les gens ne font pas partie du paysage. Solitude. Et tout cela participe à la remontée des sensations.  La lumière traverse le feuillage des arbres et des images kaleidoscopiques se dessinent allègrement sur le sol.

La montée sera ponctuée de redécouvertes du passé, du sentir ailleurs - et d’ailleurs une nouvelle étape de l’itinéraire se dessine en bifurcation ; choisir entre l’allée qui est à gauche ou qui est à droite m’est indifférent puisque les deux parcours sont plein de petits secrets à dévoiler.
Lucia Thiébaud



Dates automne 2017

RV le samedi 23 septembre après-midi (14h30-17h) pour la présentation de la saison 2017/18 des ateliers d'écriture. Au programme : à 15h, quelques lectures des textes écrits en 2016/17, suivies à 15h30 d'une proposition courte d'atelier d'écriture. Foire aux questions à 16h30.

Ateliers : samedi 14 octobre, samedi 2 décembre, samedi 23 décembre.
Attention, par rapport à 2016/17, les demi-journées sont inversées : le matin (10h-12h30) sera dédié à l'atelier d'approfondissement ("écritures singulières"), l'après-midi (14h30-17h) à l'atelier découverte, ouvert à tous.

jeudi 22 juin 2017

Retour en France

1961 en France. Violaine, 10 ans, est accroupie au pied de la grande bâtisse de la Jacqueminière (ferme familiale) à Douchy. Janine, 12 ans, est à l’intérieur, au frais. Elles ont traversé la méditerranée il y a trois mois avec leur mère suite aux «événements» en Tunisie. La mère est repartie pour être avec le père sur place pour régler les affaires. Ils viennent de revenir de Tunisie.
Journée printanière. Les cousins viennent de partir en balade à vélo. Violaine joue avec ses billes.

« Moi, j’aime bien les billes. J’en ai pas beaucoup là, mais elles sont belles, mes billes. Elles roulent tout doucement vers les petits trous que j’ai creusé avec les doigts… la terre est toute sèche alors il faut faire des ronds avec les doigts, comme ça. Mes ongles sont tout crassouilleux… tant pis !

Une porte claque dans un courant d’air. Janine sort de la bâtisse en portant une chaise en osier et un livre posé sur le siège.

« Toi, tu ne vas pas jouer avec moi, je le sais maintenant. Je te demande même plus. Je te regarde même pas et je sais que tu vas poser le siège au soleil, tu vas t’y assoir, tu vas ouvrir ton livre… sur tes lèvres il y aura un sourire… tes yeux doux vont se poser sur la page comme quand une fille regarde un amoureux en cachette. Je vais pas te demander ce que tu lis, ça va t’agacer, tu vas me faire des pas jolis yeux… j’aime pas ces yeux-là ! Tu les avais pas avant ! Et je voudrais encore être avant… tes yeux maintenant, ils sont comme je sais pas dire… Avant, dans notre maison, avant les événements (Papa en parlait tous les jours des événements avec Tonton André), avant j’aimais bien t’entendre rire, ça me disait que tout allait bien. Tu jouais avec moi, tu me prêtais ta poupée et on la faisait chanter dans sa jolie maison en carton tapissé. Elle est restée là-bas ta poupée.

Papa a dit « les filles, vous partez avec votre mère en vacances, je règle les affaires. Vous laissez les jouets ici. » Alors on est parties avec une valise chacune, sans ta poupée, ni sa maison, sans ma collection de billes multicolores et mes patins à roulette. Et toi, je vois bien, tu es triste depuis. Comme si, tout ça, c’était perdu pour toujours… comme tes yeux… deux jolies billes qui brillent restées là-bas… Et tu restes là, tu vas pas en balade avec les cousins, ton vélo n’est pas loin pourtant. Moi, j’y aurais bien été ! Mais moi, je suis malade, toujours malade, pffff ! Encore malade ! Qu’est-ce que j’aimerais bien respirer comme tout le monde et partir en vélo avec la troupe. C’est jeudi. Tiens, j’entends les tracteurs dans les champs, aussi les oncles et Papa… des bruits de casserole dans la cuisine...

Maman et les tantes nous préparent le repas… les draps étendus par tata Odette, qui chahutent avec le vent… tout le monde est là, toute la famille. Même le chien ! On prend pas le chien pour les vacances normalement… Là, oui ! Quand on est arrivées avec Maman, elle nous a inscrite à l’école, pour pas « perdre une année », elle a dit. Et puis elle est partie… Grand-père et grand-mère nous ont gardées, les 4 filles ! Moi, j’aime pas les vacances où on va à l’école. Je te l’ai dit l’autre soir mais tu me réponds pas et tes deux billes noires me regardent comme un chien battu, et c’est la rivière sur tes joues. On a passé Noël sans Papa et Maman, qui réglaient les affaires… pfff… et puis les oncles et tantes sont arrivés, les uns après les autres. Ils se sont installés à la ferme. Pour Pâques, enfin, on a retrouvé Maman et Papa ! Ils sont arrivés avec leurs valises et de drôles de mines. Ils ont dit avec une voix bizarre qu’on allait être bien ici. Décidément, drôles de vacances,… avec l’école, notre chien Bourguiba qui fait rire les oncles je sais pas pourquoi, je crois que c’est son nom qui les fait rire,… parce qu’il est tellement vieux notre chien qu’il a des yeux tout éteints… des vacances où tout le monde vient avec de drôles de mines... Pas de pique-nique, pas de baignade à s’éclabousser et à celui qui entrera le plus vite dans l’eau… pourtant il commence à faire chaud. Pas de grillades au feu de bois, pas de rigolage… Des mines toute grises, du travail, et « chut les enfants » le soir parce que les grands sont fatigués… Pfff…

Des nouveaux tracteurs sont arrivés la semaine dernière. Tout neufs ! Comme si on achetait des tracteurs en vacances ! C’est pas des vacances ça ! C’est PAS des vacances, saperlipopette ! Et SI… c’était pas des vacances… je vois plus mes billes, hou lala, mes jambes tremblent dis donc, le soleil me fait très chaud là, très chaud. Ouh, j’ai très chaud… oh non je respire plus très bien… aïe… Tu te lèves de ta chaise, tu mes regardes, tu appelles les tantes et maman accourt. Je vois plus rien. Je sais plus rien. Je veux plus rien savoir. Plus rien savoir !

Sophie Le Mée